Il y a des habitudes que l’on aime à prendre, chez ChiFouMi : celle qui consiste à répondre favorablement à l’invitation du Musée des Maisons Comtoises de Nancray (25) à rejoindre la nouvelle édition de leur grande exposition collective Paper Is Not Dead en est une, par exemple.
Après les réussites des deux éditions précédentes (en 2014 et en 2016), nous avons évidemment répondu présent -tout comme plus de quarante artistes et collectifs- en proposant au public un focus sur trois approches différentes d’utiliser le support papier (car c’est tout de même le thème de cet élan doubiste, s’il fallait encore le rappeler) dans le monde de la bande dessinée contemporaine ou du fanzinat d’aujourd’hui. Au programme, donc : le papier découpé -celui des vieux comics- réutilisé dans de fascinants et vertigineux montages ; le papier jamais identique (dans sa matière, dans son format, dans sa pagination) d’une série de fanzines auto-publiés ; et une série de publications en bande dessinée qui se plie, se déplie et se complète dans un dédale de bâtiments à lire.
Samplerman / Yvan Guillo [site]
En dehors des circuits tracés, bien loin des conventions, s’agitent sans relâche les nombreux rouages de la grosse machinerie underground. Le fanzinat comme moyen ET comme fin : voilà qui figure bien souvent dans le parcours de bon nombre d’auteurs œuvrant dans la scène alternative et/ou indépendante de la bande dessinée. Mais parfois, il ne s’agit pas de pis aller, ni de solution de repli ; la marge est ainsi champ de manœuvre, le meilleur qui soit.
C’est précisément là que l’on retrouve Yvan Guillo, à explorer depuis 25 ans les limites de son terrain de jeu. Ses premiers fanzines auto-produits datent du début des années 90 mais les nombreuses balises qu’il sème au gré de diverses publications alternatives bien identifiées tracent un parcours que l’on serait tentés de vouloir résumer à celle d’un auteur underground comme on en croise régulièrement. Puis, aux alentours de 2010, son opiniâtreté et son intérêt pour la forme bande dessinée le singularisent via un projet dont la portée va lui échapper assez vite.
Nourri de bande dessinée tout autant que de poésie, de radio, d’abstraction, de surréalisme, Samplerman est une évolution logique aux explorations narratives de son auteur, bien décidé à en découdre avec l’espace inter-iconique (et les diverses formes de réalité non-linéaire que l’on saura y trouver). Puisant à certaines racines de la bande dessinée classique (les comics mainstream des années 50, principalement), Yvan Guillo pousse les limites de la distortion et produit une forme expérimentale hypnotique et passionnante, qui n’en finit plus de fasciner. Les motifs, le cut-up, l’itération, la critique et la réalité s’y bousculent avec fracas, dans un tourbillon sensoriel qui bouscule la notion d’avant-garde dans le domaine de la narration séquentielle.
Lunatic Fringe / Boris Krommendijk. [site]
Le parcours artistique de Boris Krommendijk ressemble à un curieux jeu d’équilibriste entre les multiples pratiques d’expression de soi qu’il exerce depuis des années. Le point d’orgue de tout cela serait d’ailleurs précisément un croisement de plusieurs notions, idées, états d’esprits avec lesquels l’artiste refuserait de choisir : on oscille entre la poésie du quotidien et la critique sociétale d’un monde inacceptable, on hésite à ranger ses productions du côté d’un militantisme un brin nihiliste ou la collection d’images simples, pures, solaires et candides.
Entre un programme de création radiophonique et une série de clichés photographiques, il s’aventure occasionnellement sur le terrain de l’édition. Pas n’importe laquelle : celle que l’on choisit, celle dont on détermine les tenants et les aboutissants, celle que l’on peut maîtriser un minimum plutôt que de se contenter de voir son œuvre adaptée, déformée, modifiée. L’auto-édition était donc la seule issue satisfaisante pour que Krommendijk partage certains de ses travaux. La forme de Lunatic Fringe est changeante d’un numéro à l’autre, dévoilant l’impossibilité pour l’auteur de se cantonner à un registre figé. Le matériel et la technique de reproduction employée sont ceux de la débrouille. Le contenu, lui, est une suite d’instants de grâce reproduits en copie laser sur un papier qui trahit la bricole ; bricole revendiquée comme tel, aux antipodes de la satisfaction de celles et ceux qui ne font que parle, et avec la modestie de celles et ceux bien trop occupé.e.s à « faire ».
Façades / Wieland Bosma, Léo Duquesne, Léa German, Adrien Houillère, Pierre Jeanneau, Victor Lejeune et Ludovic Rio (éditions Polystyrène). [site]
L’histoire du collectif Polystyrène ressemble à celle observée mille fois : une bande d’amis d’école d’art décident de se réunir autour d’objectifs communs, et de se lancer dans la petite édition pour concrétiser certains de leurs élans créatifs. A un détail près : lorsqu’en 2010 naissent les éditions Polystyrène, les dits-étudiants sont rompus à la pratique de la déconstruction narrative, connaissent l’expérimentation formelle en bande dessinée comme personne, et font montre d’une imagination et d’un enthousiasme rarement observés dans le giron de la micro-édition.
Que cela soit pour donner vie à leurs propres travaux ou pour publier des projets leur semblant pertinents (ou irréalisables, on se le demande parfois), la poignée d’éléments moteurs n’en finit pas de donner vie à un catalogue qui ressemble davantage à un cabinet de curiosités en papier qu’à une liste de références semblables les unes aux autres. Après plusieurs productions casse-tête dont on imagine pas qu’elles puissent avoir été réalisées ailleurs que sous leur aile bienveillante, la dernière sortie marquante est une collection à part entière : la série Façades aligne différents leporello représentant chacun un bâtiment en vue de coupe. Chaque autrice, chaque auteur participant doit utiliser cette contrainte formelle en la laissant évidemment infuser le récit qu’elle/il décidera de nous raconter, en s’en tenant à cette forme précise. Le but avoué étant que les sorties se suivent (six à ce jour) et forment, une fois réunis, une ruelle, un quartier grouillant de vie(s).
Vous pouvez télécharger le dossier de presse qui vous présentera l’ensemble des artistes exposés en cliquant sur le visuel ci-dessous :
Paper Is Not Dead #3, c’est du 1er avril au 7 juillet 2018 au Musée des Maisons Comtoises de Nancray, à côté de Besançon ! Pour des infos plus précises et complètes : leur site est ici et leur page facebook ici.