(première partie à suivre ici)

Donc ! Ils étaient motivés et intéressés, ils étaient beaux et sentaient bon : les étudiants de l’Ecole Européenne Supérieure de l’Image d’Angoulême (vous savez, cette ville à l’ouest qui fait principalement parler d’elle chaque fin janvier dans le cadre d’un petit festival consacré à la bande dessinée…)  ont fait de ce workshop un très très chouette moment, et pour ça, nous les remercierons longtemps…

EESI workshop - contrainte étudiants #4 (gif animé)


Le but du jeu, à l’initiative de leur enseignante Johanna Schipper qui nous avait gentiment invité, c’était de leur proposer un focus sur le principe de la création sous contraintes (où l’on peut évidemment évoquer l’OuBaPo une nouvelle fois, mais pas seulement…), notamment dans ce qui a pu apparaître comme nouvelles pistes (et nouveaux « jeux ») lors des précédentes éditions de Pierre Feuille Ciseaux, qui fût notre laboratoire annuel, à l’association ChiFouMi et aux dizaines d’auteurs invités…
Cela donnait à un cadre idéal pour le plan formel, tandis que l’autre but avoué était de travailler la notion de l’avatar, de l’image et des idées, des valeurs, des choses que l’on donne à voir dans son travail, lorgnant du côté du travail du collectif General Idea, du travail de thèse de Jean-Christophe Menu (qui empruntait à Artaud la notion de double), ou encore de l’auto-stereotypie (Burroughs, etc).

Deux axes forts, qui devaient nous permettre, nous l’espérions, de pouvoir stimuler un peu la petite clique des étudiants inscrits à ce workshop, pour qui la bande dessinée s’avère être bien plus qu’un territoire connu : c’était la première des belles surprises, le fait que les territoires contemporains semblaient déjà bien balisés chez la plupart des participants, certains étant même déjà aux commandes de petites structures éditoriales (à suivre de très près, mais nous y reviendrons à coup sûr, même si en attendant, on vous suggère d’aller faire un saut du côté des éditions Polystyrène, dont quelques éminents membres font partie de cette décidément alléchante promo).

Johanna (enseignante mais aussi auteure de nombreux livres) et June (de l’asso ChiFouMi) avaient élaboré en amont un programme qui, nous le souhaitions, pouvaient proposer aux étudiants de « revisiter » quelques unes des contraintes marquantes et facilement stimulantes explorées à PFC (le workshop ne durait que quelques jours, il fallait pouvoir jouer la carte de l’émulation rapide), tout en œuvrant au cœur de ces préoccupations d’avatar…

Un résumé en photo valant bien mieux que tous les blablas, voyez plutôt :

– quelques exemples du désormais classique exercice des 30 minutes, un cadavre exquis collaboratif (cousin du 24h hour comic de Scott McCloud et Steve Bissette, et altéré par Jean-Christophe Menu et June lors de la première édition de PFC), où trois participants ont chacun 5 minutes pour raconter en bande dessinée la suite de ce que son prédécesseur a réalisé juste avant : toutes les cinq minutes, chacun passe sa feuille (un gabarit de 6 cases) à son voisin, ce qui donne à l’issue de chaque demi-heure trois exercices de 6 cases.
Tout ça serait très simple (si, si) s’il n’y avait pas plusieurs contraintes données en début de session, évidemment…


– une autre des pistes proposées fût une nouvelle forme des Métastases, un exercice proposée par LL de Mars (à l’occasion de Pierre Feuille Ciseaux #3) : ici, il s’agit d’organiser la lente mais sûre invasion d’une vaste surface (un mur est un support idéal), en œuvrant autour d’une première image posée en son centre, qui en invite d’autres.
Chaque participant peut réserver une place (pour son image) sur le mur, en suivant des axes chronologiques dont il sera le seul contrôleur, mais limité par deux axes qui sont censés pouvoir se croiser dans un sens de lecture comme un autre : idéalement, l’interaction des scènes ajoutées est censée compliquer la tâche des suivants, bien évidemment, et le but est de laisser les métastases ruiner la surface sur laquelle elles s’étendront, irrémédiablement… mais de manière à ce que plusieurs récits potentiels sortent de cette expérience.

workshop MANIFESTER ! metastases

– l’américain Zak Sally avait attendu le milieu de la troisième résidence Pierre Feuille Ciseaux pour proposer un projet où la narration était potentiellement malmenée dans une seule scène unique invitant aux multiples sollicitations : The Map, comme il l’a lui-même nommé, est une zone plane de grandes dimensions sur laquelle est tracé le périmètre d’une île.

Chacun est invité à ajouter un détail, une scène, un endroit, dessiné sur l’île selon son bon vouloir ; très vite, les interactions s’enchaînent, et chacun peut exploiter les choses apparues ici ou là pour enrichir la vie, et l’histoire, de cette île.
L’apparition de la Carte de Zak Sally était probablement stimulée par la vie des auteurs reclus en La Saline royale d’Arc et Senans, dont l’atmosphère insulaire s’installe très très vite une fois qu’on « vit » là-bas : les étudiants, en quelques heures, auront su exploiter le concept en proposant de multiples trouvailles et quelques très judicieuses passerelles entre les détails qu’ils eurent tôt fait d’ajouter.

workshop MANIFESTER ! map
– Le seul exercice suivi systématiquement chaque année par les résidents de Pierre Feuille Ciseaux était la proposition que Jean-Christophe Menu avait proposé durant la première édition : un gabarit de 6 cases aux dimensions précises, chacune comportant de multiples consignes à respecter pour élaborer une histoire autobiographique selon un processus donné.
Chacun projette donc de multiples approches de sa propre personne, de sa pratique ou de son approche de l’exercice, et peu importe la technique employée, dans une seule et unique planche.
Chaque planche est ensuite décomposée et réassemblée en puisant dans le corpus autobiographique ainsi constitué : de nouvelles histoires surgissent au gré du redécoupage et des nouveaux assemblages, et des nouvelles voies autobiographiques sont ainsi constituées, mélange de plusieurs auteurs.

Tout cela a donné bien des choses, et évidemment, comme dans toute tentative d’exploration et de recherche, tout n’est pas forcément montrable (ne serait-ce que parce que la quantité de choses produites, pour commencer, nous obligerait à poster encore pas mal de photos et de commentaires !).

Dans tous les cas, ces pistes furent suivies de près, sans pour autant vampiriser tout le temps de travail : afin que chacune et chacun s’emparent plus facilement de la notion d’avatar, Johanna a également suggéré d’établir un facebook-like mural, en temps réel et en post-it, où, durant ce workshop, chacun était invité à contribuer, à commenter, à poster, à liker, à tagger… Cela pouvait permettre une fluidité des informations entre les étudiants, mais cela a également permis à June, notamment, de connaître un peu mieux chacun d’entre eux.

Toujours dans l’optique de stimuler le travail collectif, toujours au cœur des préoccupations chifoumesques, ce dernier a également proposé une virée hors les murs, « pour essayer » : une seule petite soirée au Cinq Sens, bar du centre-ville angoumoisin que les festivaliers connaissent bien, aura suffit à une dizaine d’étudiants pour pondre un fanzine de 24 pages, entièrement dessiné dans la spontanéité du moment, et assemblé le lendemain.
Pour sûr, cette pièce magistrale restera probablement au panthéon des fanzines « faits sur le coup »… En tout cas, on aura bien rigolé en le faisant.


Et le dernier jour fût consacré à la mise en place de nouvelles expériences de travaux sous contraintes.

Sans se permettre de dévoiler les travaux proposés par les étudiants, on peut se satisfaire de la mise en application de certains d’entre eux, qui parfois allèrent jusqu’à lorgner du côté de la lisière des écritures : en témoigne ce tout petit début d’exercice, où deux joueurs ne participent qu’en dessinant sur le post-it vierge que leur prédécesseur a collé sur celui qu’il venait de dessiner (vous avez le droit de relire cette dernière phrase autant de fois que vous le voulez, évidemment : de notre côté on va se prendre un peu d’aspirine).
Le second participant altère la scène selon l’espace dont on le laisse ainsi disposer, puis colle un nouveau post-it, etc.
On est quelque part entre une forme d’animation primaire et l’exploitation « spatiale » laissée par le processus narratif bien mis à mal :

EESI workshop - contrainte étudiants #4 (gif animé)

Il y a eu cette proposition, mais quelques autres tout aussi stimulantes, qu’on espère voir surgir à droite ou à gauche à l’occasion.
Vous l’aurez compris, on s’est pas ennuyés à Angoulême, pas une seconde, et pour cette belle opportunité, nous tenons à remercier l’EESI et surtout Johanna Schipper, pour son bel accueil et sa curiosité (entre autres : merci Johanna !).
Et on ne manquera pas de suivre le parcours des étudiants dont quelques travaux en ligne devraient vous convaincre qu’on était là en présence de chouettes jeunes créateurs : merci donc, une fois encore, à Rémi Farnos, Alex Chauvel, Mathilde Payen, Adrien Thiot-Rader, Lisa Yokobori Piat, Zu Ruoxi, Victor Fouresde, Elsa Fanton d’Andon, Arnaud Bertuzzi, Kim Tran, Etienne Aubry, Reza Amirriahi, Julien Sogorb et quelques autres, pour leur patience et leur intérêt, leur énergie et leurs invitations à manger des pâtes au thon.

Et à très bientôt !