Depuis sa création, l’association ChiFouMi essaie de stimuler la création collective en bande dessinée.

Ce qui nous intéresse, depuis le début, c’est ce que l’on pourrait tenter d’étiqueter grossièrement comme « le mécanisme de la bande dessinée », au sens large du terme : qu’est-ce qui fait que deux dessins qui se suivent forment un tout ; par quel miracle ces associations graphiques peuvent tracer des voies inédites dans la notion de narration ; de quelles manières solliciteront-elles l’attention du lecteur ; et, in fine, comment ce dernier saura-t-il s’en emparer ?
En soi, ces questions soulevaient déjà bien assez de remous pour nous occuper un moment, mais voilà : ChiFouMi s’est créée dans une période particulière, qui voyait apparaître bien des élans creusant les mêmes notions que celles auxquelles nous nous intéressions, à une différence près… Alors que nous louchions allègrement du côté des contraintes créatives orientées sur le support papier, sur le livre ou le fanzine, sur les choses imprimées et les objets palpables, dans le même temps, des cerveaux en ébullition exploraient les mêmes voies mais sur leur versant numérique.

Riche de potentialités et de territoires à défricher, l’outil numérique ne pouvait pas ne pas être un ensemble de magnifiques promesses pour une petite communauté qui n’aura pas tarder à voir avec intérêt de très belles expériences à faire de ce côté-ci. Et alors qu’une partie des auteurs et des éditeurs y projetaient en premier lieu un moyen de partager des contenus d’une toute nouvelle manière, d’autres, autrement plus ambitieux à nos yeux, n’ont pas tarder à pointer du doigt les nombreuses possibilités que le numérique laissait imaginer…

C’est une histoire récente, et ceux qui l’écrivent, s’ils se situent dans une lignée d’acteurs probablement identifiables, demeurent aujourd’hui peu nombreux, et à ce titre, facilement reconnus. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas des tonnes d’amateurs de langage de programmation qui ne cherchent pas dans leur coin, mais entre plusieurs étapes marquantes comme celle d’un auteur tel que le suisse Demian5 (qui dès le tournant du millénaire signait déjà de nombreuses expériences narratives interactives en ligne) ou celle plus récente de Professeur Cyclope (initiative éditoriale tout-terrain qui tente un trait d’union entre la création en bande dessinée telle qu’on l’a connue et le champ des possibles proposé par le tout-numérique) en passant par GrandPapier (très vaste plateforme de publications protéiformes liée aux possibilités -en devenir- de la lecture via l’outil numérique) , on aura bien compris que l’effervescence était de mise.

Tony Rageul - Prise de Tête
Extrait de « Prise de tête », une proposition signée A. Rageul : www.prisedetete.net

Voilà pourquoi lors de la mise en place de notre troisième résidence collective, en 2011, nous avons imaginé convier Anthony Rageul, jeune chercheur enthousiaste que l’on avait remarqué par divers textes (qui sonnent rétrospectivement comme des jalons importants dans la jeune histoire de « la bande dessinée numérique », vague terme déjà désigné comme dangereusement fourre-tout par notre ami) et qui nous semblait être à même d’accepter la mission que nous nous sommes empressés de lui confier : superviser un chantier de création dans la création, lancer des pistes supplémentaires afin d’agrandir encore notre périmètre de recherche, déjà pourtant délimité par des contours très flous…

Les auteurs présents (une vingtaine, venus des quatre coins du monde) ont répondu présents ; certains avec enthousiasme et intérêt, d’autres avec méfiance et appréhension, mais tous se sont essayés à l’un ou l’autre des pistes proposées par notre coordinateur éphémère.
Et puisque Pierre Feuille Ciseaux n’est jamais qu’un moment où l’on tente des choses, où l’on essaie, sans forcément attendre ou espérer un résultat précis et finalisé, il nous semblait intéressant de partager les fruits de cette modeste récolte. Anthony Rageul a généreusement relevé le défi qui consistait à l’époque à avancer ses petits pions dans une relative obscurité. A peine quelques années plus tard, plus personne n’est surpris de croiser des turbo-médias sur des blogs d’auteurs un peu aventureux (ou simplement curieux), mais le territoire reste encore grandement inexploré.

Nous aimons à croire que nous avons modestement participé à la grande aventure de cette ébullition numérique, et il était temps que ces créations trouvent un toit, aussi virtuel soit-il.
Merci à Anthony Rageul pour son enthousiasme, sa patience et son opiniâtreté.

Les fruits de cette semaine de recherche, téléchargeables ci-dessous :

(navigateurs requis et mis à jour : PC : Chrome ou Firefox ou Internet Explorer (version 9 minimum) / MAC : Chrome ou Firefox ou Safari)

• Module n°1 : un strip – un clic

Le but de cet « exercice » est de réaliser un strip comportant une zone cliquable. Le clic est un mode d’interaction devenu quasiment naturel. Pourtant, c’est un geste complexe qui se décompose en plusieurs étapes : le survol, le moment où l’on enfonce le bouton de la souris, le moment où on le relâche. Pour chaque étape, le curseur et l’élément cliqué subissent des transformations. Ce module invite l’auteur à prendre en compte ces transformations dans l’histoire. Quand le lecteur survole puis clique sur la zone cliquable, le pointeur de la souris et l’image réagissent et structurent l’histoire.

Liens vers les réalisations : TonyBertIbn Al RabinBenoît PreteseilleOriane Lassus
Télécharger l’outil.

• Module n°2 : la toile infinie

La toile infinie a été théorisée par Scott McCloud. Pour lui, l’écran est une fenêtre derrière laquelle on peut faire défiler une bande dessinée de taille potentiellement infinie : une toile infinie. Ce module invite le lecteur à explorer l’histoire en faisant défiler l’image en tout sens, et parcourant sa surface. Il invite l’auteur à donner une forme au parcours de lecture, et penser de quelle manière il souhaite que le lecteur explore « géographiquement » l’histoire. Le parcours peut être plus ou moins tortueux, comprendre des embranchements, etc.

Liens vers les réalisations de : TonyBenoît Preteseille et Oriane Lassus
Télécharger l’outil.

• Module n°3 : Fenêtres aléatoires et manipulables

Les interfaces nous ont habitué à tout mettre dans des cases : les fenêtres. Mais les fenêtres ne sont pas de simples cases : elles donnent un contrôle à l’utilisateur. Ce module distribue aléatoirement un jeu de cases sous forme de pop-up. Le lecteur peut les déplacer, redimensionner, réduire et restaurer, fermer. Pour l’auteur, la question centrale est celle du choix des images qu’il proposera au lecteur : quels rapports le lecteur pourra établir entre elles (chronologie à retrouver, pièces d’un puzzle, rapports thématiques, chromatiques, etc.) ?

Liens vers les réalisations : TonyBenoît Preteseille
Télécharger l’outil.

• Module n°4 : La lanterne numérique

Ce module consiste à créer un « turbomédia », que nous avons rebaptisé pour l’occasion « lanterne numérique ». Les principes du « turbomédia » ont été posés par Yves Bigerel (alias Balak), en réaction aux bandes dessinées numériques animées, multimédias ou interactives, trop éloignées de la lecture. Le « turbomédia » est simplement une manière inventive de faire de la bd-diaporama, en mettant à profit certaines possibilités narratives du diaporama :
– Apparitions/disparitions d’éléments de l’image (cases, bulles, personnages, éléments graphiques…). Les pages-écrans se composent et se décomposent à chaque clic sur « suivant », jouant sur le rythme.
– Superposition : un même décor peut donc être réutilisé, sur lequel les personnages peuvent avoir des attitudes changeantes. Les éléments de l’image peuvent également s’empiler, jouer sur la profondeur, etc.
– Image rémanente : l’oeil garde en mémoire l’élément de l’image qui a changé. Cela permet de donner des impressions de mouvement ou de profondeur.

Lors de PFC#3, la forme de la lanterne numérique a donné lieu à deux réalisations collectives guidées par des contraintes de création. Elles sont visibles sur Grandpapier :
– exercice « 3 pas en avant, 2 pas en arrière » (ébauche avortée).
Participants : Tony, LL De Mars, Mazen Kerbaj, Polina Petrouchina, Anne Simon, François de Jonge, Benoît Preteseille, Bert, June.

– exercice « Diapo après diapo ».
Participants : Tony, Tony Papin, LL de Mars, Bert.
Ces productions ont été partagées via GrandPapier mais la création de lanternes numériques peut également se faire en utilisant le Tinyshaker (outil créé par Julien Falga).